Chapitre 24

 

Tapi dans l’ombre – sa vieille complice, si consolante – l’homme ouvrit grand les yeux quand le client, un gros type banal d’âge moyen, referma la porte derrière lui et s’arrêta un moment dans le couloir pour finir de glisser sa chemise dans son pantalon. Quand ce fut fait, il s’éloigna en gloussant d’une mâle satisfaction, s’engagea dans l’escalier et disparut très vite.

Il était tard, mais il restait encore des heures avant que le soleil n’apparaisse à l’horizon. Grâce aux murs peints en rouge, les bougies posées devant des réflecteurs en argent, à chaque extrémité du corridor, fournissaient une lumière diffuse agréablement inutile.

L’homme aimait ces atmosphères de clair-obscur permanent. Drapé dans le manteau apaisant des ténèbres, au cœur de la nuit, il adorait se sentir glisser inexorablement dans les tréfonds les plus noirs de son âme, où naissaient d’irrépressibles désirs.

La nuit était la plus loyale compagne de la débauche – un écrin délicat pour les pulsions qu’il étouffait si cruellement le reste du temps.

Immobile dans le couloir, il savoura un long moment le désir qui se déchaînait en lui. L’attente avait été si longue. La bride enfin sur le cou, sa passion lui infligeait une douleur délicieusement perverse. L’annonce d’un plaisir qui l’emporterait sur ses ailes jusqu’au bout de l’extase, où l’attendait la partie de lui-même qui ne se montrait jamais au grand jour.

La bouche fermée, il inspira par le nez pour s’enivrer d’une multitude de parfums à la fois éphémères et éternels – parce que cet instant, s’il était unique, ressemblait à tous ceux de ce genre qui l’avaient précédé, et à tous ceux qui le suivraient…

Forçant sur son diaphragme, il s’emplit les poumons de cette divine puanteur.

Il y avait d’abord celle que ces hommes, médiocres jusque dans leur lubricité, charriaient avec eux et remportaient quand ils s’en retournaient, gonflés de fatuité, vers leurs misérables petites existences. Les effluves de la vie : musc de cheval, odeur de terre et de poussières, senteurs plus subtiles de la lanoline que les soldats utilisaient pour entretenir le cuir de leur uniforme, ou de l’huile qui leur servait à aiguiser leurs lames…

Au sein de ce kaléidoscope olfactif, l’odorat acéré de l’homme capta un soupçon d’odeur d’huile d’amande, presque étouffé par les relents de crasse et de moisissure qui flottaient dans le bâtiment.

Une sombre fête des sens qui commençait à peine !

Prudent, l’homme s’assura de nouveau que le corridor était désert. Tendant l’oreille, il ne capta plus aucun râle de plaisir. Il était vraiment tard, même pour un établissement de ce genre. À part lui, le gros type anonyme devait être le dernier visiteur de la journée.

L’homme tenait à être le véritable dernier. Les preuves visuelles de ce qui s’était déroulé avant qu’il entre en scène, ajoutées aux odeurs persistantes, lui fouettaient les sens. Déjà excité, il profitait pleinement de tous les détails que nul autre à sa place n’aurait remarqués.

Il ferma les yeux un instant, pour mieux sentir la force vitale et sauvage qui puisait en lui. La femme qui l’attendait de l’autre côté de la porte l’aiderait. Oui, elle le rassasierait, car elle était ici pour ça. Et comme toutes ses semblables, elle se donnerait de son plein gré…

La plupart des mâles, tel le gros porc qui venait de partir, se jetaient sur la dispensatrice de délices, la besognaient en grognant et repartaient avec la sensation d’avoir conquis le monde. Se fichant de ce qu’éprouvaient leurs anonymes compagnes, ils ne se demandaient jamais comment les satisfaire. Pire que des animaux en rut, ils négligeaient les petits détails qui augmentaient le plaisir des deux partenaires. Concentrés sur l’aboutissement de l’acte, ils n’accordaient plus aucune importance au chemin qui y menait – d’autant plus délectable qu’il était lent.

Bref, ils ignoraient tout de la transcendance, cet art si difficile de transformer un instant en parcelle d’éternité. Doté de perceptions hors du commun, et d’un niveau de conscience à nul autre pareil, l’homme avait appris à recueillir ces moments évanescents dans sa mémoire, un sanctuaire où leur flamboyante gloire ne se ternirait jamais. Ainsi, il était parvenu à accomplir ce qu’il nommait l’« ultime alchimie » : transmuer la satisfaction par nature ponctuelle de l’étreinte en jouissance permanente.

Quelle chance il avait ! Pouvoir sentir et voir tant de choses, et, en plus, contribuer à l’épanouissement de ces femmes !

Après une dernière inspiration enivrante, il remonta lentement le couloir. Silencieux comme un félin sur la piste d’une proie, il longea la frontière entre l’obscurité et la ligne tremblante de lumière projetée par les deux réflecteurs. S’il y consacrait assez d’énergie, il espérait pouvoir un jour sentir le contact immatériel de la lumière et de l’obscurité…

Sans frapper, il ouvrit la porte que le gros type avait refermée derrière lui et entra dans la chambre, ravi d’y trouver la même pénombre complice que dans le couloir.

Du bout de l’index, il repoussa le battant de bois.

La femme était en train de remonter sa culotte le long de ses jambes fines. Écartant les genoux, elle se pencha un peu et fit glisser le sous-vêtement jusqu’à son entrejambe.

Quand elle leva ses yeux bleu clair et aperçut son visiteur, elle ne sursauta pas. Nonchalante, elle tira l’un vers l’autre les pans de sa robe boutonnée sur le devant et boucla la ceinture de soie autour de sa taille.

L’air charriait l’odeur du charbon chaud de la bassinoire glissée sous le lit, un lointain relent de savon, des effluves de poudres cosmétiques et l’entêtante senteur d’un parfum à quatre sous grossièrement capiteux.

En filigrane, tel un écrin d’obscurité enveloppant la pénombre, l’homme capta les émanations puissantes de la luxure et l’odeur si reconnaissable du sperme.

Dans la pièce sans fenêtre, le lit aux draps froissés et tachés était placé dans un coin, contre le mur du fond. Bien qu’il ne fût pas large, il occupait une grande partie de l’espace disponible. À côté, un petit coffre en bois blanc, très simple, servait sans doute à ranger les effets personnels de la femme. Au-dessus, un dessin à l’encre représentait – avec un grand réalisme – un couple au summum de la passion.

Sur la droite de la femme, une cuvette blanche ébréchée reposait sur un meuble bas en piteux état. Le chiffon posé sur bord du récipient dégoulinait encore, et l’eau, dans la cuvette, ondulait légèrement.

La femme venait de faire sa toilette intime.

Toutes avaient leurs petites habitudes. Certaines ne prenaient jamais la peine de se nettoyer. En général, c’étaient les plus vieilles, ou les moins attirantes, qu’on ne payait pas cher et qu’on traitait très mal. Les plus belles, avait remarqué l’homme, mettaient un point d’honneur à se laver après chaque client. Il préférait cette catégorie, même si sa dévorante passion, au bout du compte, finissait par balayer ce genre d’obstacles.

Les femmes qui ne faisaient pas commerce de leur corps pensaient-elles à ce type de détails ? Probablement pas… À son avis, elles n’accordaient aucune attention à ces choses-là. Sans doute parce qu’elles manquaient de minutie et de goût pour la perfection.

Les femmes en quête d’amour le satisfaisaient, mais pas de la même façon. Elles parlaient sans cesse et réclamaient qu’on les courtise. Las d’être harcelé, il finissait par leur donner ce qu’elles désiraient avant d’avoir pu assouvir ses propres besoins.

— Je croyais en avoir terminé, ce soir, dit la fille d’un ton qui se voulait accueillant.

Elle faisait des efforts, mais l’idée de se coucher sous un nouvel homme, si tard, ne semblait pas l’enthousiasmer.

— Je crois que je serai le dernier…, s’excusa-t-il, afin de ne pas l’irriter davantage.

Quand elles étaient en colère, il ne prenait pas autant de plaisir. Pour que ce soit parfait, il fallait qu’elles brûlent d’envie de le séduire.

— Bien, allons-y…, soupira la fille.

Qu’un inconnu soit entré dans sa chambre sans frapper ne l’inquiétait pas – même alors qu’elle était à moitié nue. Et comme prévu, elle ne lui demanda pas d’argent.

Au rez-de-chaussée de l’établissement, Silas Latherton, impressionnant avec son gourdin et le coutelas glissé à sa ceinture, s’assurait que ses pensionnaires n’aient rien à craindre. Et pour monter à l’étage, il fallait avoir payé d’avance. Une corvée de moins pour ces pauvres filles surmenées – et un moyen imparable de garder le contrôle du chiffre d’affaires puis de sa répartition.

Suite aux assauts virils du gros type, la jolie blonde avait les cheveux en bataille, mais l’homme trouva ce détail excitant. Témoignant de la vigueur de sa dernière étreinte tarifée, il soulignait l’érotisme pervers de la prostituée.

Ce qu’il avait vu de son corps, avant qu’elle referme la robe, augurait bien de la suite : de longues jambes, ce qu’il fallait de rondeurs et une poitrine admirablement bien moulée. Certain de revoir cette petite merveille de la nature, l’homme n’avait aucune intention de précipiter les événements.

L’attente ajoutait à son excitation. À l’inverse des autres mâles, toujours pressés de conclure, il savait prendre son temps. Une fois qu’on avait commencé, ces choses-là étaient toujours finies trop vite. Pour l’instant, il préférait se concentrer sur les détails apparemment sans importance, histoire de les graver à jamais dans sa mémoire.

Cette fille n’était pas simplement jolie, conclut-il après un examen attentif. Sa frappante beauté devait enflammer l’imagination des hommes, les condamnant à revenir régulièrement la voir pour se donner – ou plutôt se payer – l’illusion de la posséder. À la façon dont elle jouait de son corps, la femme le savait, et la fidélité de ses clients renforçait chaque jour son éclatante confiance en elle.

Pourtant, aussi parfait qu’il fût, son visage dépourvu de véritable douceur trahissait un caractère dominé par la dureté et le mépris. Les autres idiots, fascinés par la perfection de ses traits, ne l’avaient sans doute jamais remarqué.

L’homme ne ratait jamais ce genre de détail. Et ce n’était pas la première fois qu’il le voyait sur une de ces filles. Un point commun qu’elles ne pouvaient pas dissimuler à un aussi fin observateur.

— Tu es nouvelle ? demanda-t-il, bien qu’il connût déjà la réponse.

— C’est mon premier jour… En Aydindril, les clients ne manquent pas, mais depuis l’arrivée de cette armée, les affaires marchent mieux que jamais. Ici, les yeux bleus sont rares, et les miens plaisent beaucoup aux soldats d’harans, parce qu’ils les font penser aux femmes de chez eux. Avec un tel afflux d’hommes seuls, les filles comme moi ne risquent pas de chômer…

— Et les revenus augmentent en conséquence…

La femme eut un sourire entendu.

— Si tu ne pouvais pas payer, on ne t’aurait pas laissé monter. Alors, évite ce genre de pleurnicheries…

L’homme s’en voulut. Il entendait converser poliment, pas l’offusquer. Décidément, elle avait un caractère acariâtre. À présent, voilà qu’il allait devoir l’amadouer.

— Les soldats sont parfois brutaux avec les jeunes femmes aussi séduisantes que toi. (Trop souvent entendu, le compliment n’avait pas fait mouche, il le lut dans les yeux bleus de la prostituée.) Je me réjouis que tu travailles avec Silas Latherton. Il interdit aux clients de frapper ses collaboratrices. Sous son toit, tu seras en sécurité, et ça me rassure.

— Merci… (Le ton était toujours aussi glacial, mais un peu moins agressif.) Je suis ravie que nos clients connaissent la réputation de Silas. Un jour, j’ai été rouée de coups. Une expérience détestable. En plus de la douleur, je n’ai pas pu gagner ma vie pendant un mois.

— C’était sûrement terrible… La douleur, je veux dire…

— Bon, tu te déshabilles, ou quoi ? fit la femme en lorgnant délibérément le lit.

L’homme ne répondit pas, mais lui fit signe d’enlever sa robe, puis la regarda défaire le nœud de sa ceinture.

— C’est toi qui paies…, soupira la fille en écartant assez les pans du vêtement pour inciter son client à passer aux choses sérieuses.

— J’aimerais… Eh bien, je voudrais que ça te plaise aussi.

— Mon chou, ne t’en fais pas pour moi… Je vais adorer ça ! Si tu savais comme tu m’excites ! Mais c’est toi qui investis de l’argent, alors, occupons-nous surtout de ton plaisir.

L’ironie de la fille plut beaucoup à l’homme. Dissimulée sous un ton rauque censé suggérer le désir, elle aurait échappé aux autres hommes. Mais lui guettait ce délectable instant d’insubordination qui précédait quasiment toujours une totale soumission.

L’une après l’autre, il posa quatre pièces d’or à côté de la cuvette blanche. Dix fois le prix que Silas Latherton facturait pour ses femmes. Et trente fois plus, sans doute, que ce qu’il devait leur donner pour une passe. La fille en écarquilla les yeux de surprise, comme si elle refusait d’y croire. De fait, c’était une petite fortune.

Troublée, elle interrogea son client du regard.

L’homme savoura la confusion de la catin. Les femmes de son genre étaient rarement déconcertées par l’argent. Mais vu son jeune âge, c’était sans doute la première fois qu’elle voyait un homme faire montre d’autant de générosité pour la stimuler.

Il se réjouit de l’avoir impressionnée, parce que ça ne devait pas arriver souvent.

— Je veux que ça te plaise. Et je suis prêt à payer plus cher pour que tu te laisses aller.

— Mon chou, à ce prix, tu te souviendras de mes cris jusqu’à la fin de tes jours.

Ça, ce n’était pas douteux…

Avec un superbe sourire, la catin finit d’enlever sa robe. Sans quitter son client des yeux, elle alla la suspendre à un crochet planté dans la porte.

Puis elle caressa le poitrail de l’homme, l’enlaça et lui pressa sa somptueuse poitrine contre le torse.

— Alors, c’est ça que tu veux, mon chou ? De jolies griffures sur tes reins, pour rendre jalouse ta petite amie ?

— Non. Mon seul désir, c’est que ça te plaise aussi. Tu as un si joli visage, et une silhouette tellement fine. En te payant bien, j’espère que ce sera agréable pour toi aussi. Et je veux le sentir, tu comprends ?

— Ce sera super pour moi, mon chou, c’est promis. Tu sais, je suis une putain très douée.

— Je n’en doutais pas…

— Ce sera si bon, mon chou, que tu crèveras d’envie de revenir me voir.

— Lirais-tu dans mes pensées ?

— Au fait, je m’appelle Rose…

— Un nom qui te va à ravir.

Et aussi banal que toi !

— Et toi ? Comment devrai-je t’accueillir quand tu viendras me voir régulièrement ?

— J’aime le surnom que tu me donnes. Il sonne très bien, sur tes jolies lèvres.

— Ravie de faire ta connaissance, mon chou.

L’homme glissa un doigt sous l’élastique de la culotte de Rose.

— Je peux l’avoir ?

La fille laissa courir ses doigts le long du ventre de son client, descendit un peu plus bas et feignit d’être impressionnée par ce qu’elle sentit sous sa braguette.

— La journée a été longue, tu sais… Cette culotte n’est pas vraiment… eh bien, propre. J’en ai des fraîches dans mon coffre. Avec ce que tu paies, je t’en donnerai autant que tu voudras. Et même toutes, si ça te fait plaisir.

— Celle-là ira très bien. Et elle me suffira.

— Je vois… Mon chou aime collectionner des petits souvenirs.

L’homme ne répondit pas.

— Et si tu me l’enlevais ? Conquiers ton trophée, fier gentilhomme !

— Je préfère te regarder faire.

Rose fit glisser la culotte le long de ses jambes – sans hésiter à en rajouter, question spectacle. Puis elle se plaqua de nouveau contre l’homme, le regarda dans les yeux, et lui passa lentement le « trophée » sur une joue. Jugeant qu’un sourire lubrique était de mise, elle se fendit de son meilleur, puis glissa le sous-vêtement dans la main de son futur « régulier ».

— Et voilà ! Rien que pour toi ! Un joli souvenir qui sent la Rose !

L’homme pressa la culotte entre ses doigts, émoustillé par l’humide chaleur que conservait encore le tissu. Avec une ardeur parfaitement imitée, Rose se dressa sur la pointe des pieds pour l’embrasser. S’il n’en avait pas su si long sur les filles de joie, il aurait pu croire qu’elle le désirait plus que tout au monde.

Mais il jouerait le jeu, par égard pour elle.

— Que veux-tu que je te fasse ? souffla-t-elle. Dis-le-moi, et je t’obéirai. Tu sais, je ne propose pas ça à mes autres clients. Mais tu me rends folle ! Allez, n’hésite pas, demande-moi tout ce que tu veux !

Sur la peau de Rose, l’homme sentait à présent l’odeur de tous ceux qui l’avaient besognée aujourd’hui. La puanteur de leur lubricité était pire encore que celle de la culotte.

— Et si on se laissait porter par les événements, ma petite chérie ?

— Comme tu voudras, mon chou…

Avec un clin d’œil lascif, Rose s’écarta de l’homme, ramassa les pièces, approcha du coffre en ondulant des hanches et s’agenouilla. Depuis le début, il se demandait si elle s’accroupirait ou se pencherait pour qu’il ait une vue imprenable sur sa croupe. À présent, il connaissait la réponse. Et il aimait bien la pudeur que ce comportement exprimait, vestige d’un passé de petite fille sage…

Alors qu’elle rangeait son trésor sous une pile de vêtements, il vit, sur le dessus, un petit coussin orné d’une broderie rouge.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il, intrigué par un détail qui ne semblait pas coller avec le reste.

Conquise par les pièces d’or, la catin lui répondrait, il en était sûr.

Elle saisit le coussin et le lui montra. Purement décoratif, considérant sa taille, il semblait sorti d’une maison de poupée. Et la broderie représentait bien entendu une rose.

— Je l’ai fait quand j’étais petite. Il est rembourré d’écorce de cèdre, pour sentir bon. (Elle passa un index sur la fleur rouge.) Le symbole de mon prénom. C’est mon père qui l’a choisi, tu sais ? Il disait toujours : « Tu es la petite rose qui a poussé dans le jardin de mon cœur. »

Pendant que la catin rangeait dans le coffre ce dérisoire souvenir, l’homme se demanda si son géniteur savait où elle était, à présent. L’avait-il reniée en découvrant la vérité ? La rose s’était-elle fanée dans son cœur ? Il y avait sûrement eu une scène tragique, le jour où était tombé le masque. Et la mère ? Avait-elle compris le choix de sa fille, ou pleuré sur sa déchéance ?

Désormais, lui aussi allait jouer un rôle important dans la vie de cette putain. Un rôle capital, même…

— Puis-je aussi t’appeler ma petite rose ? demanda-t-il. C’est un si joli surnom.

Rose se retourna et le regarda rouler en boule la culotte dans son poing.

— Tu es mon amant de cœur, à partir de maintenant. Je n’avais jamais raconté ça à un homme. Et je serai heureuse que tu me nommes ainsi…

Le cœur battant la chamade, l’homme vacilla, submergé par son insatiable désir.

— Merci, ma petite rose…, souffla-t-il, parfaitement sincère. J’ai tellement envie de te faire plaisir.

— Tes mains tremblent…

C’était toujours comme ça, avant qu’il passe à l’acte. Après, cela cessait. L’anticipation, encore et toujours…

— Désolé…

— Ne t’excuse pas ! Te savoir un peu nerveux m’excite.

L’idiote ! Il n’était pas nerveux, simplement fou de désir.

D’une main téméraire, Rose s’en assura.

— Je veux connaître le goût de ta peau, dit-elle en lui mordillant l’oreille. Ce soir, je n’ai personne d’autre. Nous pouvons prendre tout notre temps.

— Je sais… C’est pour ça que j’ai attendu d’être le dernier.

— Je veux que ça dure, tu comprends ? En es-tu capable, mon chou ?

— Oui ! Et je te promets que tu demanderas grâce avant que j’en aie fini.

Rose ronronna de satisfaction et se retourna dans les bras de son client pour presser les fesses contre son sexe. Le dos cambré, elle gémit comme si elle était déjà au bord de l’extase.

L’homme se tordit un peu le cou pour la regarder dans les yeux. Une putain très douée, vraiment, constata-t-il en étouffant le rictus méprisant qui luttait pour déformer ses lèvres.

Il posa une main sur la croupe de la catin, chercha le bas de sa colonne vertébrale et compta les vertèbres en faisant mine de les caresser.

Rose gémit de nouveau.

Gêné par sa façon d’onduler du croupion, il manqua le point qu’il visait.

La catin vacilla.

La seconde fois qu’il la poignarda, l’homme toucha sa cible, entre deux vertèbres, et lui sectionna la moelle épinière.

Il la prit par la taille pour l’empêcher de tomber. Son gémissement de douleur et de surprise n’était pas imité, cette fois. Mais les occupants des autres chambres ne le distingueraient pas des râles qu’elle poussait pour ses clients. Les gens ne remarquaient jamais les nuances…

Lui, il n’en perdait pas une miette !

Alors que Rose ouvrait la bouche pour crier, il lui enfonça dans la bouche la culotte sale roulée en boule. Comme d’habitude, sa coordination fut parfaite, et le hurlement s’étrangla dans la gorge de la catin. Tendant la main pour récupérer la ceinture de soie, l’homme l’enroula quatre fois autour de la bouche de sa proie, pour que le bâillon de tissu reste en place. De sa main libre, et avec les dents, il tira et fit un nœud serré.

Il aurait adoré écouter les cris de Rose, enfin venus du cœur. Mais cela l’aurait forcé à accélérer le mouvement. Dommage, car il se délectait de ces râles-là, toujours sincères…

Collant sa bouche à l’oreille de Rose, il sentit l’odeur de sueur masculine qui montait de ses cheveux.

— Ma petite rose, tu vas me donner tant de plaisir ! Aucun mâle n’aura autant joui de toi ! Mais je veux que tu aies ta part de bonheur. Sois honnête, tu as toujours rêvé que ça finisse comme ça. Je suis l’homme que tu attendais depuis si longtemps…

Il la laissa glisser sur le sol. Ses jambes devenues inertes, elle n’irait nulle part.

Rose tenta de lui tirer un coup de poing dans l’entrejambe. Il lui saisit le bras au vol, lui ouvrit les doigts de force, serra sa paume entre un pouce et un index et fit pression jusqu’à ce que les os du poignet se brisent avec un claquement sec.

Utilisant les manches de sa robe, il lui lia les mains pour qu’elle ne puisse pas retirer le bâillon. Le cœur cognant contre ses côtes, il se régala de ses implorations étouffées. S’il ne comprenait pas les mots, à cause de la culotte, la douleur qu’ils exprimaient lui faisait bouillir le sang.

Une tempête d’émotions se déchaîna dans sa tête.

Enfin, les voix s’étaient tues, le laissant seul avec sa débauche. Même s’il ignorait ce qu’étaient ces voix, une certitude demeurait : seul son intellect si singulier permettait qu’il les entende. Grâce à ses perceptions hors du commun, et à son goût des détails, il captait les messages venus du plus profond des éthers.

Des larmes roulaient sur les joues de Rose. Ses sourcils relevés se touchaient presque, creusant sur son front une série de rides. Minutieux jusqu’au bout, l’homme les compta.

Ses yeux bleus écarquillés de terreur, la catin le regarda retirer ses vêtements et les poser à l’écart. Il eût été fort mal avisé de les souiller de sang…

Le couteau ne tremblait pas dans sa main, redevenue aussi ferme et sûre que si elle était en marbre. Il se campa devant Rose, nu et en érection, pour lui montrer à quel point elle avait bien joué son rôle, jusque-là.

Puis il passa à l’acte.

Le Temple des Vents - Tome 4
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